Double en platre

Selon ses notes personnelles, Boris Vian commence à écrire à l’âge de 23 ans, soit en 1943. À cette période et parallèlement à son métier d’ingénieur, il s’essaie avec ses frères, son épouse Michelle et son ami Jacques Loustalot dit Le Major à différents exercices sous forme de contes, de saynètes ou de bout rimés.

Il se lance en écrivant un premier roman Troubles dans les Andains qui ne le satisfait pas. Il récidive avec Vercoquin et le Plancton et à l’occasion d’une rencontre avec Raymond Queneau, le roman sera publié en 1947 chez Gallimard. Le voisin et ami de la famille Vian n’est autre que Jean Rostand, fils d’Edmond et éminent biologiste. Il a ses entrées chez Gallimard et connaît bien Raymond Queneau, qu’il présente au jeune Boris.

Manuscrit

Celui-ci croit en la consécration mais déchante rapidement car certains membres du jury du Prix de la Pléiade de Gallimard ne soutiennent pas son nouveau roman, L’écume des jours, qui paraîtra en avril 1947, alors que J’irai cracher sur vos tombes, son pastiche de roman noir américain, sort en novembre 1946.

La production de Boris Vian est phénoménale, il sillonne Saint-Germain-des-Prés la nuit et écrit le jour, ne dormant que très peu. Mais il n’avait pas prévu les choses tourneraient ainsi : le scandale de J’irai cracher sur vos tombes stigmatise le jeune auteur dans un rôle qui ne lui déplaît pas un court temps puis lui pèse sérieusement. Trop tard, les dés sont lancés. Afin de ne pas se donner tout à fait tort, il enchaîne sous les deux plumes et presque simultanément l’écriture de L’automne à Pékin, Les morts ont tous la même peau, Et on tuera tous les affreux, Les fourmis, L’herbe rouge, L’équarrissage pour tous, Elles se rendent pas compte et esquisse son futur Arrache-cœur.

Boris Vian écrivain

Il se lance alors à corps perdu dans toutes sortes d’aventures et de collaborations, car il vit pour l’écriture et n’est jamais en mal d’inspiration. Il poursuit notamment un genre qui lui va bien, rapide et direct : la nouvelle, dont émergeront Les fourmis, Le loup-garou ou encore Les chiens, le désir et la mort. Il publie également des Chroniques du menteur dans la célèbre revue de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir Les temps modernes, ainsi que des dizaines d’articles reprenant les dernières parutions de disques et comptes-rendus de concerts de jazz, présentés notamment dans Jazz-Hot fondé par Charles Delaunay, fils du célèbre couple de peintres, Robert et Sonia Delaunay, et dans le journal Combat, alors dirigé par Albert Camus.

Malgré les appuis de Queneau et Sartre, qui fait paraître notamment dans Les temps modernes plusieurs chapitres de L’écume des jours, Boris Vian restera sur la touche entre écriture et musique. Le monde des arts est en train de subir de grandes transformations mais l’intelligentsia en place n’est pas prête à céder sa place.

Harassé en 1950, il change radicalement de vie. Séparé de sa femme Michelle et de ses deux enfants, il rencontre Ursula Kübler, vit dans une chambre de bonne à Montmartre, fait des traductions à n’en plus finir pour survivre puis petit à petit, il remonte la pente et va se tourner définitivement vers la musique, laissant avec une déception profonde l’écriture romanesque.

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Il rencontre une dernière chance avec Jérôme Lindon, alors directeur des éditions de Minuit qui souhaite republier L’automne à Pékin et peut-être également L’herbe rouge, avec l’approbation d’Alain Robbe-Grillet, conseiller aux éditions de Minuit, chef de file du nouveau roman mais aussi fils d’ingénieur. Mais le succès n’est pas au rendez-vous et Boris est passé à autre chose, multipliant les collaborations.

Il s’investit notamment dans de riches échanges au sein du Collège de Pataphysique, aux côtés de Ionesco, Prévert, Siné, Paul-Emile Victor, Dubuffet, Queneau, Michel Leiris ou Max Ernst...

Parallèlement, son roman J’irai cracher sur vos tombes doit faire l’objet d’une adaptation pour le cinéma, ce qui va engendrer toutes sortes de problèmes. Sa fatigue est immense car il ne se ménage pas et sa maladie cardiaque, qu’il a négligé de traiter ces dernières années a raison de ses dernières forces ; pourtant, il accepte un poste à la direction artistique de Philips. Mais en 1956 puis en 1957, il est victime d’œdèmes pulmonaires dont il ressort chaque fois plus diminué.

Boris Vian

Il se rétablit doucement auprès d’Ursula qui arrête de danser pour rester auprès de lui. Alors, couché ou assis, il continue d’écrire chansons, comédies, accepte encore des traductions, notamment L’homme au bras d’or de Nelson Algren. Faire la traduction de ce chef d’œuvre, qui allait être porté bientôt à l’écran avec Franck Sinatra dans le rôle principal, était un grand signe de reconnaissance car Nelson Algren fut l’amant de Simone de Beauvoir, et c’est elle qui demanda à Gallimard que ce soit Boris Vian qui entreprenne ce travail. Et deux autres propositions le ravissent : traduire la seconde partie des Joueurs des non-A de A.E. Van Vogt et revoir le livret du Chevalier de Neige, pour plusieurs représentations programmées à l’Opéra de Nancy.

Si le monde de la littérature tourne le dos à Boris Vian, le monde musical le plébiscite encore et encore. Pourtant il avoue un soir à Magali Noël combien il a mal de ne pas avoir été reconnu comme un « vrai » écrivain pour son Écume des Jours...

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Cette période où il est malade lui donne à penser qu’il ne reprendra pas son rythme de directeur artistique, malgré l’alléchante proposition de son ami Eddie Barclay. Et puis, il doit terminer l’aménagement de l’appartement qu’il occupe avec Ursula sur le toit du Moulin Rouge, ce qu’il fait autant que possible sous l’œil impassible de son chat Busy von Roche-dragon.

Jusqu’à son dernier souffle, en 1959, il noircit carnets et feuilles volantes et songe de plus en plus à écrire à nouveau un livret d’opéra. Après tout, l’un des seuls vrais grands succès qu’il remporta fut la représentation en 1953 à Caen puis en 1957 à Nancy d’un opéra, Le chevalier de Neige, en collaboration avec le jeune compositeur Georges Delerue.

Boris Vian dans sa cuisine

Il laisse sur son bureau le 23 juin 1959 une ébauche d’opéra intitulé Le Mercenaire et quelques traductions de chansons américaines sur lesquelles il travaillait. Ursula n’a pas encore découvert les poèmes de Je voudrais pas crever et nombre de nouvelles, chroniques, romans inachevés, arguments de ballets, traductions et chansons sont rangés sur ses étagères en attendant un jour meilleur...

Perçu comme incontrôlable, unique en son genre mais sans genre précis, homme sans compromis avec un zeste d’ironie, il continue pourtant sur sa trajectoire, laissant derrière lui une trace indélébile qui est parvenue jusqu’à nous puisque ses écrits sont enseignés dans les livres scolaires.

Pour Boris Vian, peu importe le genre pourvu qu’il écrive. S’intéressant à tout, il souhaite, avant tout, rester un amateur éclairé et son œuvre est riche de sujets variés. Pourtant dans toute son œuvre émergent la cruauté et la mort ; il écrit à de nombreuses reprises et sous différentes formes son rejet de la guerre. Il rêve d’une société où l’humain n’aurait qu’à créer et se cultiver pendant que les robots travailleraient pour lui... Son œuvre, avec son caractère jubilatoire qu’offre la jeunesse, mais également la distance créée par l’imaginaire débordant et tonique de Vian fait de ses écrits un album de photos noir et blanc très contrastées où parfois une palette multicolore vous saute au visage.

Boris Vian dans la cuisine

A ce jour, c’est plus de dix mille pages qui sont éditées, avec une large proportion à titre posthume. Comme l’auteur avait la particularité de vivre plusieurs vies simultanément en tant que chroniqueur, romancier, nouvelliste, poète, librettiste, jazzologue, auteur, traducteur, il est plus aisé pour suivre la chronologie d’écriture de s’en remettre à une liste classée par thème.

Entre 1999 et 2006, les éditions Fayard ont publié les œuvres complètes en 15 tomes, regroupant tous les titres publiés du vivant de Boris Vian jusqu’à nos jours, augmentés d’inédits, de transcriptions d’émissions de radio, d’écrits pataphysiques et d’un dictionnaire des personnages.

En 2011, les éditions Gallimard renouent avec l’œuvre de Boris Vian en publiant les œuvres romanesques en deux tomes à La Pléiade.

L’œuvre de Boris Vian a depuis longtemps franchi les frontières et les premiers lecteurs étrangers ont été les Allemands, les Japonais, les Espagnols, les Russes... Depuis, ses livres ne cessent de faire l’objet de traductions sur tous les continents et des centaines d’adaptations scéniques de son œuvre ont été interprétées un peu partout dans le monde.